Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Annie et Jean-Pierre Mahé, Perrin, 2012

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                                                    photo : Sharnik

L’histoire de l’Arménie ne s’est pas, heureusement, arrêtée avec le génocide de 1915. Mais elle n’a pas non plus commencé avec lui. La somme publiée par Annie et Jean-Pierre Mahé explore le long passé, souvent tourmenté, de ce peuple, et explique comment une identité et une culture qui n’ont jamais vraiment coïncidé avec un territoire, mais qu’une très antique diaspora a façonnées, ont survécu à travers les siècles. Reste le trou noir, l’épreuve de la mort de masse, dont un noyau dur résiste à la compréhension. En effet, si le pays de l’Arche a connu toutes les invasions depuis l’Antiquité, il a aussi été, en 1915, le laboratoire de l’entreprise génocidaire moderne. Cette qualification, admise par la plupart des historiens, a reçu la sanctification de la loi française en 2001 et 2012.
Cette ingérence politique dans la recherche historique a provoqué la mobilisation de nombreux historiens, rassemblés par Pierre Nora sous l’étendard « Liberté pour l’Histoire ». Les entretiens que nous ont accordés Jean-Pierre Mahé et Pierre Nora explicitent les termes de la polémique, à défaut de la trancher. Qualifier ou non de « génocide » les atrocités subies par les Arméniens en Turquie revient, en effet, à poser la question lancinante des lois mémorielles. Pour Jean-Pierre Mahé, la loi reste la moins mauvaise des solutions pour lutter contre le négationnisme d’État turc. Tout en condamnant cette politique du déni, Pierre Nora redoute que les chercheurs subissent les conséquences de textes adoptés pour satisfaire des clientèles électorales. Que l’on penche pour l’un ou l’autre, on conviendra que la question arménienne dépasse largement l’Arménie.
Propos recueillis par Gil Mihaely et Jérome Leroy
Causeur. Raconter l’histoire de l’Arménie, c’est, selon vous, vouloir « saisir l’insaisissable ». Si l’identité arménienne a montré un tel instinct de survie dans l’Histoire, elle doit avoir de solides fondations…
Jean-Pierre Mahé. C’est exact. Dès les Ve et VIe siècles, les deux éléments constitutifs d’une identité spécifique, la religion et la langue, sont là. La langue est connue par son écriture, apparue dès le Ve siècle. On a longtemps cru que c’était une langue iranienne. On sait, depuis une trentaine d’années, qu’elle appartient, avec le grec et l’albanais, à la branche balkanique de l’indo-européen. Les Arméniens sont un peuple occidental qui est allé très loin en Orient pour s’enraciner dans le Caucase et en Asie mineure et se retrouver à la limite de deux civilisations, la Méditerranée et l’océan Indien.
Si les Arméniens ont une langue spécifique, ils partagent leur religion avec pas mal d’autres peuples
Oui, mais ils ont très rapidement développé leur manière propre d’être chrétiens ! Leur conversion officielle date du IVe siècle, peu avant celle de Constantin, mais les régions méridionales du pays avaient été pénétrées par le christianisme dès le IIe siècle. Au VIe siècle, ils prennent leurs distances avec l’empereur byzantin Justinien, qui voulait obliger toutes les ethnies de l’Empire à célébrer la liturgie en grec. Ils arrivent à imposer le culte dans leur langue vernaculaire.
Quels sont, à cette époque, les contours politiques et géographiques de l’Arménie ?
À l’origine, c’est un pays fragmenté et divisé en cantons, un peu à la façon suisse, qui correspondent chacun à une vallée soumise à la famille possédant la terre. Pour mieux se défendre, ces familles se fédèrent jusqu’à former, petit à petit, une entité gouvernée par un roi, primus inter pares qui n’a même pas le droit de choisir les grands officiers du royaume.
[…]
 

 

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