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Merci à la France reconnaissante : Ara Toranian

Merci à la France reconnaissante, par Ara Toranian

Le 21 février 2024 marquera une étape symbolique et historique dans la reconnaissance des héros méconnus de la Résistance, avec l’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon. Il s’agit d’un événement national qui, bien plus qu’un simple hommage, souligne l’importance des immigrés dans la lutte pour la France, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale. Manouchian, chef militaire de la Résistance communiste des FTP-MOI de la région parisienne sera non seulement le premier Arménien, mais aussi le premier étranger depuis 2 siècles à entrer dans ce Mausolée que la « Patrie reconnaissante » a dédié « aux grands hommes ».

Cette initiative met en exergue l’intégration exemplaire des Arméniens et leur symbiose avec la patrie des droits de l’Homme. Plus loin, elle revêt aussi une portée idéologique, en mettant en avant le rôle du PCF, le parti des 75 000 fusillés, dans la Libération. Il serait en effet réducteur de dissocier le patriotisme français de ce couple d’Arméniens, de son engagement antifasciste et de son attachement à une société plus égalitaire, plus fraternelle.
Fuyant un génocide dans leur enfance, pour être témoin d’un autre, la Shoah, à l’âge adulte, ils ont choisi de se battre contre la tyrannie, dans l’espoir de sauver des individus pourchassés pour ce qu’ils étaient, comme ils l’avaient eux-mêmes été. L’universel et la défense de l’Humanité se situent indubitablement en toile de fond de leur combat contre l’occupation instaurée par l’armée allemande, celle-là même qui 25 ans plus tôt, se rendait complice de l’entreprise d’extermination de leur propre peuple, en encadrant militairement le gouvernement Jeune-turc et en soutenant ses crimes.

En honorant Missak et Mélinée Manouchian respectivement nés en 1906 et 1913 dans l’Empire ottoman, la France reconnaît non seulement leur héroïsme personnel, mais rappelle aussi le génocide arménien, encore trop souvent relégué aux marges de l’histoire européenne. Une mise en lumière bienvenue, alors que l’Arménie continue à être menacée par cet épigone oriental du pangermanisme qu’est le totalitarisme panturc toujours prôné par l’axe Ankara-Bakou.
L’entrée de Mélinée au côté de Missak est aussi un acte chargé de sens pour les femmes, qui ont joué un rôle déterminant dans la Résistance, comme Olga Bancik, du même groupe, guillotinée le 10 mai 1944, à Stuttgart. Le FTP Arsène Tchakarian, indiquait que cette Roumaine juive et communiste avait participé à une centaine d’attaques contre l’armée allemande. Avec Missak et Mélinée, elle entrera symboliquement aussi au Panthéon, ainsi que les 23 francs-Tireurs et Partisans fusillés, arméniens, espagnols, hongrois, italiens, polonais (majoritairement juifs), dont les noms figureront sur la plaque qui accompagnera le cercueil de leur chef.
Porteur d’un message citoyen s’il en est, cet hommage à Manouchian, qui doit tant au poème d’Aragon, réaffirme les valeurs de patriotisme, de liberté, de solidarité et de résistance face à l’oppression.

En ces temps de débats sur l’identité nationale et l’immigration, cette mise à l’honneur rappelle opportunément que grâce à son socle culturel exceptionnel, à son histoire et à son rayonnement, le pays des lumières s’est enrichit d’une mosaïque de cultures, d’histoires et de mémoires, dont chaque pièce participe de l’ensemble. Dans sa générosité, la France a été ce qui rassemble. Mais si l’on doit tirer une leçon du sacrifice suprême des combattants de l’Affiche rouge, elle est aussi ce qui dépasse.
C’est le grand mérite d’Emmanuel Macron, seul et unique décideur de l’entrée de Manouchian au Panthéon, d’avoir su servir tous ces messages en initiant ce bel événement.

Ara Toranian