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Sergueï Lavrov dans Kommersant repis par Le Monde repris part

1.Le Monde
14 mars 2021
SERGUEÏ LAVROV, LE DIPLOMATE DU KREMLIN AUX DEUX VISAGES

Le Matin Dimanche du dimanche 14 mars 2021 par Benjamin Quénelle (Moscou).
Ministre des Affaires étrangères russe depuis 2004, après dix années passées à la tête de la représentation russe à l’ONU, ce fin négociateur a toute la confiance du président Vladimir Poutine. Derrière sa carapace sévère, il aime bons mots et bonnes bouteilles.
C’est le Janus au service de la politique étrangère du Kremlin. « Sergueï Lavrov, l’homme aux deux visages, peut changer en une minute ! » sourit un homme d’affaires européen à Moscou, habitué des jeux diplomatiques et des attitudes complices du chef de la diplomatie russe depuis dix-sept ans. Souvent sec et cassant, l’indéboulonnable ministre du président Vladimir Poutine est réputé pour son intransigeance et sa sévérité. Lavrov impressionne tous ses adversaires par sa maîtrise des dossiers, son talent et sonendurance de négociateur dans les discussions marathons.
« Il connaît ses dossiers par cœur et sur tous les sujets. C’est la grande voix de Moscou sur la scène internationale, comme aucun autre depuis Andreï Gromyko à la fin de l’URSS. Il paraît dur. Mais ses origines caucasiennes, sa mère étant géorgienne et son père arménien, peuvent subitement reprendre le dessus : il devient convivial et joyeux, amateur de bons mots et de bons whiskys (sans glace). Il adore plaisanter et discuter… » raconte cette même source qui, dans les coulisses de la politique russe, a partagé plus d’un repas et d’un verre avec le ministre au double visage.
Cette semaine, globe-trotter infatigable mais contraint aux visioconférences en cette interminable période de coronavirus, Sergueï Lavrov a repris le chemin des voyages. Direction : l’Arabie saoudite et les émirats. Avec, dans les palais ou les aéroports, un nouveau marathon de rencontres parallèles, depuis son homologue turc jusqu’au premier ministre libanais. À Moscou, ces dernières semaines, l’Europe était pourtant son menu principal. Les tensions n’ont jamais été aussi fortes, marquées par la visite, le 5 février, de Josep Borrell. La journée moscovite du chef de la diplomatie européenne a viré au cauchemar.
L’Europe giflée
Tout avait pourtant commencé par des sourires et politesses de la part de Sergueï Lavrov. Puis, en pleine rencontre, Moscou a annoncé l’expulsion de trois diplomates européens accusés d’avoir participé à une manifestation de soutien à Alexeï Navalny, l’opposant anti-Kremlin emprisonné. « Une vraie claque ! » souffle un ex-ambassadeur européen en Russie, régulièrement frappé par « la brutalité chez Lavrov, sans doute une forme extérieure de sa lassitude… »
Le ministre a, depuis, fait comprendre que la séquence visite de Borrell puis expulsion des diplomates était « pure coïncidence ». Personne n’est dupe. « Cela a été orchestré au sommet. Mais par qui ? Les équipes de Lavrov ? Ou les faucons des services de sécurité, plus remontés que jamais contre les Occidentaux depuis l’affaire Navalny ? » s’interroge ce même ex-ambassadeur qui, lors de ses rencontres avec le ministre, a noté « une frustration : beaucoup de dossiers de politique étrangère lui échappent. Les siloviki (ndlr : services de sécurité) ont pris le pouvoir dans la Russie de Poutine, y compris sur des grandes décisions diplomatiques. » L’une des figures de ces faucons, Vladislav Sourkov, prône même une radicalisation dans le verbe et les actes : puisque le divorce entre Moscou et l’ouest est consommé, le Kremlin devrait cesser avec ses faux-semblants libéraux et se montrer ouvertement plus offensif.
Infatigable négociateur
Face à la montée des bellicistes, Sergueï Lavrov apparaît comme un rempart important, diplomate jusqu’au-boutiste du dialogue, féru de la négociation depuis ses dix années à tête de la représentation russe aux Nations Unies. « Des journalistes, il aime les questions franches et directes sur ses dossiers diplomatiques, pas sur les questions de politique générale. On voit ses yeux briller lorsqu’il est impliqué dans un marathon de négociations complexes », assure Elena Tchernenko, correspondante diplomatique du journal russe « Kommersant ».
Depuis dix ans, elle suit le ministre et, avec un collègue, prépare une biographie sur ce vétéran, 71 ans dans quelques jours, marié, père d’une fille et grand-père de trois petits-enfants. « L’an dernier, après onze heures de discussions non-stop sur la Libye durant lesquelles il œuvrait en intermédiaire entre les antagonistes, il est sorti avec des étoiles dans le regard, heureux d’avoir plongé au fond du dossier et fait progresser la discussion », raconte la journaliste, réputée pour sa liberté de ton. « Je ne vois en lui ni lassitude ni fatigue. Et toutes ces rumeurs sur son désir de démissionner sont fausses ! »
Mais Sergueï Lavrov ne le cache pas : entre l’Europe et lui, il y a une vraie rupture. Elle remonte à la révolution ukrainienne de février 2014, « un coup d’État » selon le ministre qui ne cesse de reprocher à ses homologues français et allemand de ne pas avoir respecté l’accord négocié entre eux pour une sortie politique de la crise. « Il a été profondément choqué et, depuis, ne fait plus confiance », confie un interlocuteur européen à Moscou, frappé par le visage fermé et le ton glacial du ministre lors de sa dernière rencontre avec les hommes d’affaires européens en Russie. C’était à l’automne dernier, en pleine affaire Navalny. « Des reproches incessants ! Pas de plaisanterie ni de bons mots ce jour-là », se souvient-il.
De la vieille école
Le ministre sait ainsi se mettre en scène, dans ses froides colères comme dans ses chaleureux apartés. Face aux faucons, il a certes perdu une partie de sa marge de manœuvre politique. Il reste pourtant l’atout diplomatique majeur de Vladimir Poutine, qui lui fait confiance pour les négociations difficiles. Et si parfois, verre à la main et cigarette aux lèvres, il peut paraître détendu, Sergueï Lavrov ne lâche rien.
Il se sentait très à l’aise, notamment avec John Kerry et Frank Walter Steinmeyer, ses anciens homologues américain et allemand avec qui il partageait une vision « old school » de la diplomatie. Mais tirer des confidences du vétéran russe relève de la mission impossible. « Il appréciait la vue sur la Méditerranée et le rosé frais servi à la terrasse. Je ne l’ai jamais vu d’aussi belle humeur » , se souvient ainsi une source qui, en août 2019, patientait avec lui sous le soleil au fort de Brégançon alors que les présidents Emmanuel Macron et Vladimir Poutine discutaient longuement à l’intérieur. « Il était jovial et détendu, agréable et drôle. Mais, sur le fond, la ligne était la même… »
« Des journalistes, il aime les questions franches et directes sur ses dossiers diplomatiques, pas sur les questions de politique générale. »
Elena Tchernenko, correspondante diplomatique du journal russe « Kommersant »
« Sergueï Lavrov paraît dur. Mais ses origines caucasiennes, sa mère étant géorgienne et son père arménien, peuvent subitement reprendre le dessus : il devient convivial et joyeux, amateur de bons mots et de bons whiskys », raconte un homme d’affaires européen à Moscou.
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