1 Nouvel Hay Magazine

“Le crime parfait” de Franck Esmer

à lire dans :  Alakiaz
 
"L’auteur aborde donc les deux génocides de la première
moitié du xxe siècle, le génocide des arméniens de l’Empire
ottoman et celui des Juifs d’Europe, dans une approche phi-
losophique. Laissant aux historiens la tâche d’établir des faits
par la preuve, l’analyse, la comparaison, le philosophe soulève
des questions différentes, qui ne peuvent se trouver dans des
archives ; il travaille sur des concepts abstraits, il chemine à
travers l’analyse, la critique et l’argumentation à l’aide d’exem-
ples qui vont confirmer ou infirmer une idée.
Le livre se décline en 296 méditations, des textes courts
enrichis d’une multitude d’exemples et de citations choisis
dans un très vaste répertoire d’écrits allant de l’antiquité à nos
jours. Les dix chapitres-escales donnent de la cohésion à l’en-
semble et regroupent les questions que se pose l’auteur, aux-
quelles il tente de répondre par l’éclairage d’autres textes. Ces
questions portent sur la définition du crime parfait, le témoi-
gnage, la problématique des survivants, la violence, la
mémoire, la reconnaissance, la responsabilité ou la culpabilité,
la manière d’écrire l’histoire, la raison d’état,
le pardon.
bien que la lecture de ce livre soit
parfois difficile, le lecteur peut se permettre
de lire ces méditations sans ordre précis, et
découvrir au fil des pages, des pensées qui
l’amènent à réfléchir sur ses propres points
de vue, formuler ses propres questionne-
ments, ou s’aventurer dans la compréhen-
sion de raisonnements complexes. Certains
passages nous interpellent immédiatement
et nous incitent à retrouver l’œuvre de leurs
auteurs : par exemple la démonstration que
le crime de Clytemnestre, dans la tragédie
Agamemnon d’Eschyle ne peut être parfait
puisqu’il apparaît dans l’aveu même du per-
sonnage qui se dit, elle, manipulée par le
destin; autres exemples, les réflexions de Simone Weil et de
primo Levi sur les camps de concentration et sur les survi-
vants, celles d’albert Camus sur les traces persistantes ou la
valeur morale de la révolte ou encore celles de Valéri
Grossman (Vie et Destin) sur le bien et la bonté. Et tant d’au-
tres que F. Esmer met à son tour en lumière à chaque escale,
afin d’enrichir sa pensée et tenter de trouver ses propres
réponses. un autre plaisir de la lecture de ce livre, c’est de
pouvoir revenir à tout moment sur un paragraphe qui nous
avait échappé et d’en apprécier alors la teneur.
un livre dont la lecture nous incite à la lucidité et à la vigi-
lance pour appréhender l’Être humain devant l’histoire devant
deux crimes qu’on a voulu parfaits.
Mais laissons la conclusion à Germaine tillon: «Chercher
à comprendre, c’est peut-être cela qu’on appelle humaine-
ment “exister” » (p. 242)
 
Anahid Samikyan
éditions Thadée