1 Nouvel Hay Magazine

Nersès Durman donne sa version d’une histoire communautaire (janvier 2019)

Un riche Arménien dit « Enguer Pantchouni »

 

 

disposant de grands terrains arides en
donne une parcelle à son ami pour pouvoir l’exploiter. Son ami, grâce à de grands efforts
retourne la terre et y plante des arbres fructueux. Après un certain temps, Enguer
Pantchouni constate la transformation de ses terres arides en un terrain cultivé, il reprend
son bien sans dédommager son ami.
Cette fable démontre un épisode de la vie de la communauté arménienne embarquée

sur un frêle esquif sans itinéraire précis et qui se laisse porter sur une mer démontée au gré des vagues.
LE PASSÉ DE LA COMMUNAUTÉ ARMÉNIENNE DE FRANCE
Sous l’occupation ottomane, la population de l’Arménie fut victime d’innombrables massacres de 1894 à 1896 puis en
1909. Mais ce fut à partir du 24 avril 1915 qu’elle reçut le coup de grâce par les Jeunes Turcs qui organisèrent la
déportation et l’extermination de plus d’un million d’Arméniens. Un petit nombre de ces Arméniens trouva refuge en
Arménie orientale sous l’empire russe. Quant aux autres rescapés, ils furent éparpillés dans le monde entier. En 1944,
le juriste juif polonais Raphael Lemkin allait qualifier ces massacres de « Génocide » terme que les Juifs allaient
également utiliser avant d’adopter celui de « Shoah ».
En 1920, les Arméniens rescapés du Génocide arrivèrent par plusieurs groupes en France. Pour ces Arméniens
dépaysés, l’intégration s’avérait compliquée car ils ne connaissaient ni la langue ni les coutumes, seule la religion
chrétienne dominante en France était un gage de sécurité.
Les Arméniens sont connus pour leur courage et la qualité de leur travail ; ainsi ils ne dédaignèrent aucun emploi qui
leur était proposé tant dans l’industrie que dans l’agriculture.
Pendant 30 ans, la communauté arménienne de France s’est développée, elle a construit des églises, des écoles et des
centres culturels. L’activité des partis politiques arméniens était conforme aux dispositions des lois en vigueur.
1
Dans la langue arménienne le dicton « Enguer Pantchouni » de Yervant Odyan représente un caractère humoristique et satirique mais
il est plus souvent utilisé dans la version humoristique.
Dans notre écrit « L’Épisode de la vie des Arméniens de France », l’expression Enguèr Pantchouni est utilisée pour un des chefs d’un
parti politique arménien, qui n’a pas hésité à s’approprier pour sa gloire personnelle, les victoires gagnées par le peuple arménien.
2
Le 24 avril 1915 était pour le peuple arménien une date remarquable, un jour de deuil que les églises apostolique,
catholique et protestante évoquent ensemble. Le 24 avril est pour la communauté arménienne tout entière la date du
deuil national.
LE PRÉSENT DE LA COMMUNAUTÉ ARMÉNIENNE DE FRANCE
La veille du 50ème anniversaire du génocide des Arméniens, le président de la J.A.F. (Jeunesse Arménienne de France)
publiait une tribune qui stipulait que le 24 avril devait cesser d’être une journée de deuil, de prières et de larmes mais
devenir une journée de lutte, de combat et de revendications.
Il s’agissait dorénavant de faire reconnaitre la réalité du Génocide des Arméniens, de lutter contre tous les sordides
négationnistes et ce en hommage et mémoire des 1,5 millions de martyrs qui dorment sans sépulture.
Après la mort de Staline en 1953, les persécutions avaient cessé en Arménie par conséquent le peuple arménien
commençait à respirer. À l’occasion du 50ème anniversaire du Génocide des Arméniens, à la mémoire des martyrs de
1915 fut érigé un monument gigantesque à Dzidzenagapert ainsi qu’un musée du Génocide à Erevan.
En France, des manifestations de masse furent organisées dans les grandes villes du pays.
Dans les années 70-80, les formations M.N.A. (Mouvement National Arménien) et l’A.S.A.L.A. (Armée Secrète
Arménienne de la Libération de l’Arménie) allaient porter le Génocide des Arméniens sur la place publique.
L’A.S.A.L.A. était une organisation qui menait la lutte armée contre les représentants diplomatiques turcs. Certaines
attaques firent malheureusement des victimes collatérales, des personnes innocentes ce qui discrédita quelque peu la
cause qu’elle défendait. Ce fut une période de réveil en France, les associations de jeunesse avaient commencé le
travail pour la reconnaissance du Génocide.
En 1995 se formait en France, le comité 24 avril 1915 avec plus de 20 organisations arméniennes y compris les partis
politiques historiques. Le but de ce comité était de faire reconnaitre le Génocide des Arméniens par les hautes
autorités françaises. En France, le comité 24 avril avait réussi à faire inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale
la question de la reconnaissance du Génocide des Arméniens par la France. Le texte avait été voté par l’Assemblée
nationale le 29 mai 1998 mais devait également l’être par le Sénat pour avoir force de loi. Malheureusement, ce ne fut
pas le cas. Dépité par cette situation, le président du comité 24 avril avait convoqué une réunion extraordinaire qui
s’était déroulé dans la salle du Yan’s club à Paris. Le président interrogea chacun des représentants d’associations
présentes pour avoir leur avis sur la façon de sortir de l’impasse. Nous avions indiqué en ce temps, tant que la
question du Génocide des Arméniens resterait dans la sphère arméno-arménienne, il n’y aurait aucune issue positive
et qu’il ne fallait pas se faire d’illusion. Par contre, l’implication des partis politiques et des syndicats français pourrait
nous permettre d’aboutir à nos fins. Dès qu’il entendit notre proposition, Enguer Pantchouni bondit de son siège
comme s’il avait un ressort sous son séant et s’inscrivit en faux, déclarant de façon péremptoire que la reconnaissance
du Génocide des Arméniens ne devait et ne pouvait être réalisée que par les propres forces arméniennes.
Cependant, le président et la majorité des membres ayant accepté notre proposition, notre association M.A.F.P.
sollicita par conséquent le soutien des partis politiques et des syndicats français. Tous les partis et syndicats
répondirent positivement sauf un syndicat qui refusa d’apporter son soutien et après enquête, nous nous rendîmes
compte qu’il avait beaucoup de travailleurs turcs parmi ses adhérents.
Le Parlement français vota finalement la loi reconnaissant le génocide vu que cette question était sortie de la coquille
arménienne et était devenue une affaire française. Le 18 janvier 2001, la France reconnaissait officiellement le
Génocide Arménien. Rappelons-nous que le premier pays au monde ayant reconnu le Génocide des Arméniens fut
l’Uruguay le 20 avril 1965.
Il y eut une grande réjouissance dans la communauté franco-arménienne entre l’ecclésiastique et le laïc, l’intellectuel
et le manuel, le français et l’arménien, tous s’embrassaient. Le travail que nous avions mené ne devait pas s’arrêter à
mi-chemin, il fallait maintenant assurer la reconnaissance du Génocide des Arméniens dans le monde entier.
3
Le comité du 24 avril se transforma et devint C.C.A.F. (Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de
France) le 24 avril 2001. Afin d’optimiser cette nouvelle association, il aurait fallu la doter de statuts.
Le C.C.A.F. avait organisé une réunion dans les locaux de l’U.G.A.B. pour élaborer les statuts de la nouvelle association.
Soudain Enguer Pantchoui proposa un document qu’avait élaboré son équipe. Or, force fut de constater qu’il ne
s’agissait pas de statuts mais bel et bien d’une constitution. Nous avons donc refusé ce document arguant de fait qu’il
n’était pas utile de créer un État arménien hors de l’Arménie. Finalement ce sont les statuts du C.C.A.F. qui furent
adoptés.
À l’occasion de la commémoration du 60ème anniversaire de l’exécution de Missak Manouchian, M.A.F.P. avait préparé
le 6 février 2004 des cartons d’invitation pour se rendre au cimetière d’Ivry où avait lieu la cérémonie.
Comme il restait de l’espace libre sur ce carton, le président de M.A.F.P. décida d’inclure un encart impliquant le
C.C.A.F. Lors de la réunion suivante du C.C.A.F, Enguer Pantchouni. s’emporta, accusant M.A.F.P. d’usurper le nom du
C.C.A.F. pour sa propre publicité et réclama officiellement l’exclusion de l’association du Conseil.
D’après les statuts du C.C.A.F., un membre fondateur ne pouvait être exclu. Cependant, les discussions mesquines, le
chantage et le marchandage commencèrent, au grand dam de M.A.F.P. Ainsi, le directeur d’un journal patriotique
plutôt que de soutenir l’association proposa de muer l’exclusion définitive en une exclusion de 6 mois seulement. Cela
fut d’autant plus douloureux pour les membres de M.A.F.P. que ce journal était aussi leur création, mais force fut de
constater que l’intérêt général s’efface devant l’intérêt particulier. Enguer Pantchouni continuait à fanfaronner et à
menacer de quitter le C.C.A.F. avec tous ses satellites, si M.A.F.P. n’était pas exclu. Face à une telle détermination et
par souci d’apaisement, nous avons préféré partir de cette association que nous avions fondée à part égale avec
d’autres.
Le C.C.A.F. devenait ainsi la chasse gardée d’Enguer Pantchouni et de ses acolytes.
Pendant plus d’un an, hors du C.C.A.F. nous avons poursuivi nos activités.
Le nouveau président du C.C.A.F. nous proposa de réintégrer l’institution après un an de purgatoire, il est fort
probable qu’Enguer Pantchouni n’ait pas réussi à faire main basse sur le système. Une année avant la commémoration
du centenaire du Génocide des Arméniens, le C.C.A.F. avait demandé à chaque association quel serait leur projet.
Notre association avait préparé un projet de collecte de sang en mémoire des victimes du Génocide.
Malheureusement, celui-ci ne reçut pas l’approbation de l’institution. Par conséquent, M.A.F.P. décida de mener ce
projet avec ses seules forces humaines et financières. Ainsi 5.000 cartes postales furent éditées en français et
envoyées à toutes les institutions nationales et internationales. Nous contactâmes l’E.F.S. (Établissement Français de
Sang) le 29 septembre 2014 puis nous nous rendîmes dans leur centre pour présenter notre projet qui attira toute
leur attention. Les responsables de l’E.F.S. proposaient de faire du mois d’avril, le mois des génocides. Que s’est-il
passé pour que cette coopération pourtant si aboutie ait eu si peu d’écho ? Cela reste une énigme pour nous. L’E.S.F.
nous a communiqué les lieux et dates des collectes que nous avons diffusés auprès du public. Il est fort probable que
certaines forces obscures ne voulant pas de ce projet de collecte de sang aient sciemment fait échouer cette action.
Comme nul n’est prophète dans ce pays, la collecte de sang a eu des échos positifs et des répercussions à l’étranger
en Suisse, au Canada, en Australie contrairement aux médias de la communauté arménienne de France.
L’AVENIR DE LA COMMUNAUTÉ ARMÉNIENNE DE FRANCE
Avant d’étudier l’avenir de la communauté arménienne de France observons un fait sans précédent qui avait effrayé
le monde entier : la Seconde guerre mondiale de 1939-1945. L’Allemagne avait occupé presque toute l’Europe, la
France était coupée en deux zones, la zone occupée par les nazis et la zone « libre » sous l’autorité de Vichy. Le
Royaume-Uni avait échappé à l’occupation allemande et c’est dans ce pays que se constituaient les gouvernements
européens provisoires en exil. Le 18 juin 1942 général Charles de Gaulle avait créé les Forces Française Libres et
appelé à la Résistance contre l’occupant nazi et la France de Vichy.
4
En France, Missak Manouchian membre des F.T.P. M.O.I. était le chef d’un groupe de résistants composé de Juifs,
d’Arméniens, d’Italiens, d’Espagnols, de Polonais qui mena plusieurs actions dans la région parisienne. Manouchian,
avec la collaboration d’Arsène Tchakarian, avait organisé l’attentat contre le général de l’armée allemande Julius
Ritter. Après la mort de Ritter, le 28 septembre 1943, Hitler proclama 3 jours de deuil national. Julius Ritter n’était
donc pas le simple recruteur du S.T.O. en France, sa mission était bien plus importante, il avait été envoyé pour
recruter par la force des spécialistes dans le domaine nucléaire. Ces scientifiques auraient permis à l’Allemagne de se
doter de l’arme nucléaire. L’exécution de Ritter a marqué un coup d’arrêt à la progression scientifique de l’Allemagne
nazie.
La Wehrmacht avait occupé presque la totalité de la partie européenne de l’U.R.S.S. Dans l’armée rouge, il y avait près
de 600.000 Arméniens – des soldats, des officiers et des généraux.
L’armée allemande avait assiégé la ville de Stalingrad le 17 juillet 1942. À cette époque la Turquie était officiellement
neutre, mais son armée – 26 divisions- était néanmoins alignée à la frontière de l’U.R.S.S. prête à pénétrer dans le pays
et à attaquer l’Arménie soviétique dès l’annonce de la chute de Stalingrad. La résistance soviétique et la capitulation
allemande à Stalingrad le 2 février 1943 sonnèrent le glas du Grand Reich mais surtout sauva l’Arménie d’une attaque
turque.
Quant à la communauté arménienne de France, il est très difficile de la mettre sur le droit chemin entre intrigues et
corruptions, elle aurait besoin de personnes incorruptibles, intègres et actives. Dans le passé, le comité du 24 avril,
avec une conduite exemplaire et une coopération sans précédent a fait reconnaitre le Génocide des Arméniens par les
autorités françaises.
L’Arménien doit se défaire de sa peau de nationaliste qui l’étouffe et comme le disait Charles Aznavour être 100%
arménien et 100% français mais en gardant toujours à l’esprit qui il est et d’où il vient.
Depuis un siècle, l’Arménien qui a développé l’idée d’une France chevaleresque, pays de liberté, d’égalité et de
fraternité doit maintenant en étudier le système dans tous ses aspects.
En France, les municipalités représentent la plus petite cellule d’un pays. Les Arméniens en s’intégrant dans les
conseils municipaux se rendent compte comment est dirigé le système municipal. Les Arméniens selon leur sensibilité
peuvent s’intégrer et travailler avec tous les partis politiques. En France, il y a plusieurs milliers de municipalités où
résident des Arméniens.
Un Arménien qui fait partie d’une organisation historique arménienne doit abandonner au seuil de l’entrée du conseil
municipal sa tunique partisane. Dans l’enceinte du conseil municipal, un Arménien avec son expérience avancée
pourra mettre sur pied le C.F.A. (Comité Franco-Arménien). Les amis français seront les bienvenus dans le C.F.A. sans
distinction de leur appartenance politique. Le C.F.A. étant une formation apolitique, il reste en dehors des courants
politiques.
Voir ci-joint en P.D.F. « L’intégration et la représentativité des Arméniens de France ».
Nersès Durman-Arabyan
Antony, le 3 janvier 2019