1 Nouvel Hay Magazine

RĂ©gates Royales de Cannes et Voiles de Saint Tropez

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Une forêt de mâts réveille la grâce de la French Riviera

Laura Damiola

Aux premiers jours d’une saison qui n’existe qu’ici – l’été dans l’automne – une portion de Côte d’Azur, de Cannes à Saint-Tropez en passant par les fauves de l’Estérel, offre un spectacle miraculeux. Soudain, une forêt s’élève, dans les ports, les baies, les calanques, les golfes, où volent des papillons géants en guise de spinnakers. Ils réveillent une grâce magique qui a enchanté autrefois le Monde entier, celle des toiles du pointilliste Signac ou encore du fauve Maquet, celle des pages à l’encre marine de Maupassant (« Sur l’eau »).

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                         Voiles de St Tropez

Il s’agit bien d’une forêt mais une forêt de mâts : ceux des plus sensuels voiliers qui courent la Méditerranée. Dernière semaine de septembre à Cannes, sous l’oeil impassible du Suquet, dans le Vieux Port, la forêt possède une dominante de spruce vernis aux nuances de miel. Les Régates Royales sont dédiées aux voiliers antérieurs à la première partie du XXe siècle (jusqu’aux années 1960-1970). Elles sont nées en 1929 et ont été ressuscitées voilà 40 ans (en 1978).

Une semaine et un travelling plus tard, fondu enchaîné cinémascope le long des roches rouges de l’Estérel, le miel du spruce se mêle au carbone des mâts des plus fabuleux maxi, Wally et autres, du XXIe siècle. Tous unis pour Les Voiles de Saint-Tropez. Durant quelques jours, le petit grand port le plus fameux de la planète, redevient le cadre du chef-d’oeuvre de Paul Signac (« Bouée rouge », à voir sur place au musée de l’Annonciade), la foule des grands jours en plus.

Ph:Guido Cantini/Sea&See/Panerai

Entre Cannes et Saint-Tropez, il y a un changement, apparent comme le vent qui propulse les voiliers. On passe de l’historique horloger italien Panerai, sponsor du Trophée du même nom, à un autre fabricant non moins fameux de précieux « garde temps » : Rolex, parrain des Voiles de Saint-Tropez. Mais, attention, l’heure reste la même : celle d’une identique passion en dépit de dissonances maîtrisées.

A Cannes, une douce fragrance aristocratique un rien nostalgique. A Saint-Tropez, une immense fête, presque un carnaval, ponctué d’une pittoresque parade des équipages, de la capitainerie jusqu’à Sénéquier et au-delà, façon « Gendarme de Saint Tropez » (le film) en délire. Cette année, ils étaient, dans le port Varois, 4 000 équipiers réunis pour les 20 ans des Voiles de Saint-Tropez, à bord de 300 bateaux au prestige intemporel quels que soient les âges.

Le tout forme un petit monde, le peuple de la forêt de mâts. On se connaît, se reconnaît, s’embrasse. A Cannes, les fidèles ont retrouvé, au commandes des Régates le sourire solaire de l’ami Gérard Pasqualini, réapparu après deux années d’éclipse. A Saint-Tropez, Tony Oller, vient lui de prendre la barre de la Société Nautique de Saint-Tropez. De part et d’autre, l ‘esprit demeure inchangé, fair play de rigueur.

                  Voilkes de St. Tropez

Comme un clin d’oeil à leur aînée cannoise, Rolex, parrain des Voiles, a rassemblé en 2018 les descendants de la dynastie Fife – 130 ans d’histoire du yachting – du géant Cambria (40 m) à la petite sœur Ellad (10,47 m) en passant par les mythiques Moonbeam III et IV, vedettes habituelles des Régates de Cannes. Une forme d’hommage en trait d’union ? A Saint-Tropez encore, le doyen de la flotte, Alcyon 1871, était présent au rendez-vous. Il s’agit d’une copie conforme – due à la dévotion d’Edith, descendante de l’ armateur originel et de Marc Frilet – du tout premier bateau ayant remporté les régates de la Société Nautique de Marseille. L’original a naguère brillé en baie de Cannes, avant la Seconde Guerre mondiale. Alcyon est un fabuleux passeur d’histoire entre le siècle de Maupassant et celui de Google, entre Cannes et Saint-Tropez…

Moment fort des Voiles 2018, la Régate des Centenaires. Parmi ces vénérables chefs-d’oeuvres d’ébénisterie Belle Epoque (acajou, chêne, teck, tous massifs), deux navires entre autres sont nés dans la même année 1914, à la veille du crépuscule de sang de l’Europe, deux destins, deux légendeshi.

 

              Moombean IV

D’un côté, la star déjà présentée, Moonbeam IV, sloop de 35 m, signé par William Fife III et habituée des chroniques people depuis Grace Kelly et Rainier de Monaco.

                           Monwenna

De l’autre, Morwenna, une « goélette  de poche » (18 m environ) due au crayon de Linton Hope, un autre britannique. Le premier, racer élancé, a attendu la fin de la Grande Guerre pour toucher l’eau et rafler à deux reprises la King’s Cup . La seconde, née pour la croisière et taillée pour les rudes mers froides, s’est mouillée dans les eaux de l’Histoire survivant de justesse aux bombes nazies de la Seconde Guerre. Au-delà, les deux sont des miraculés et, à leur façon respective, des modèles de restauration : Moonbeam pour le respect de l’esprit victorien de ses intérieurs originels et d’un art de naviguer à l’ancienne, Morwenna, dans un vertigineux souci d’authenticité qui s’est traduit par dix ans (15 000 heures!) de travail au chantier du Guip, à Brest. Ainsi, sur le pont de Morwenna chaque latte de teck ( 3 cm d’épaisseur) est unique ! Leurs propriétaires respectifs, le Néerlandais Tom Van Der Bruggen (Moonbeam) et le Suisse Stéphane Monnier (Morwenna) présentent apparemment des profils dissemblables." "]

                      Tom Van Der Bruggen

Tom a inventé les bûchettes éducatives Kapla – un succès mondial –, a racheté le château des Talleyrand en Périgord, à Excideuil, roule en cabriolet Rolls Silver Cloud il est amoureux de Bach. Cela s’entend lorsque s’élève à son bord la voix de la soprano de remarquable niveau, Alessandra Vittini. Voiles classiques et grande musique se marient parfaitement.

         Alexandra Vittini directrice d'orchestre

La démonstration en a été faite à Cannes, lors d’une mémorable soirée musicale sur les hauteurs du Suquet, animée et dirigée par la cantatrice et directrice d’orchestre.

 

Stéphane, lui, architecte naval, grand navigateur lémanique, outre avoir investi 30 ans de son existence dans la réhabilitation de Morwenna, dessine d’adorables quillards de sport (dont un exquis 12 m2 du Havre) à ses heures « perdues ».

En réalité, les figures de Tom et Stéphane se confondent comme deux facettes d’une même unique et folle passion qui consiste à régater sur des œuvres d’arts, des monuments classés ou le méritant. Voire à régater tout court, pour la gloire et la beauté. Cette beauté qui sauve le monde…

A tous les niveaux, dans toutes tailles, de toutes les époques, des Dragon et Tofinou (à Cannes), des Shooners (à Saint-Tropez aussi) comme la grande goélette Mariette, aux yawls, ketchs et autres cotres, auriques ou Marconi, aux (superbes) jouet tels Lulu (1887) ou Dainty (8 m hors tout) ou au Magic Carpet 3, le très actuel Wally de Sir Lindsay Owen Jones (yachtman de l’année 2017), en passant par Il Moro di Venezia (hommage à Raoul Gardini), skippé par Giovanni Bianco et vainqueur du Trophée Panerai 2018, sans oublier toute une déclinaison de représentants de la jauge métrique, ils forment une bulle à part, animée par cette drôle de philosophie : se mesurer entre deux ou trois bouées pour mieux savourer encore l’existence.

          Il Moro di Venezia  

Cependant, nul n’est sourd dans cette bulle de toile, cette forêt de mâts qui pousse à l’automne venu sur les bords de la French Riviera de Cannes à Saint-Trop’. « Emmenez-moi au bout de la terre… », chantait Charles Aznavour dont la disparition a été connue en rade de Saint-Tropez le 1er octobre, jour du lancement de la compétition. « Emmenez-moi… ». La chanson du plus arménien des poètes universels de langue française (mais pas seulement) courait l’autre nuit de bord en bord. Plus d’un équipier suisse de Morwenna reprenait ses paroles en écho à ceux d’autres bateaux, originaires de 30 nationalités différentes. « Il me semble que la misère serait moins dure au soleil… ». Il n’a pas manqué de briller cette année, de Cannes à Saint-Tropez en hommage au Grand Charles.