1 Nouvel Hay Magazine

Smyrne (Izmir) le 13 septembre : l’armée turque met le feu à la ville, pillages , viols , massacres

un moment de l’histoire universelle.

 

VOYAGE A SMYRNE

Episode 7

Commémoration du centenaire

de la « Grande Catastrophe » d’Asie Mineure

1922-2022

Pour rappel.

A la fin de la première guerre mondiale, l’Empire ottoman est vaincu et moribond. De 1919 à 1922, les Grecs entreprennent alors une guerre contre les Turcs. Leur défaite aboutira, entre autres, à la perte de Smyrne (Izmir aujourd’hui) ville à majorité grecque et port cosmopolite de la mer Egée, une des destinations de la route de la soie. Un quartier arménien se trouve dans la ville où se sont réfugiés de nombreux Arméniens après le génocide de 1915. Les Grecs nomment cette période la « Grande Catastrophe ».

 

image.png

 

Les derniers jours de Smyrne, pas à pas…

 

Le 13 septembre 1922 – Le jour de l’incendie

« La colonie anglaise avait, en quasi-totalité, terminé son embarquement.

Le matériel de la brigade des sapeurs-pompiers de Smyrne était moderne car financé par les compagnies d’assurances londoniennes qui avaient intérêt à équiper la ville de moyens de lutte efficaces. Un premier incendie fut maîtrisé à 10 heures dans le quartier arménien. La brigade y découvrit un spectacle d’horreur, toutes les maisons étaient jonchées de cadavres.

De nombreux Arméniens, ainsi que des Britanniques, Minnie Mils, directrice du lycée de filles américain et les professeurs qui l’entouraient, King Birge, épouse d’un missionnaire américain, Clafin Davis de la Croix Rouge, Joubert du Crédit foncier de Smyrne, des pompiers, déclarèrent que des soldats turcs déchargeaient des bidons de pétrole dans la rue Rechidiyé. Puis, avec des seaux, ils aspergeaient les murs des maisons du quartier arménien. Ces soldats de l’armée régulière, avec leurs officiers, trempaient des bâtons entourés de chiffons dans les bidons et avec ces torches enflammaient les maisons.

Un énorme incendie éclatait en début d’après-midi. Attisé par un vent fort, il embrasait trois foyers. Vers 14 heures, les trois incendies n’en formaient plus qu’un dont le brasier dévastait le quartier arménien. Reconstruit avec de larges rues, afin d’empêcher les flammes de sauter d’un côté à l’autre, ce fut sans effet sur des maisons arrosées de pétrole. Les murs de pierre enrobaient des squelettes de poutres de bois qui s’embrasèrent lorsque les murs chauffaient, puis s’effondraient.

L’incendie refoula des milliers de personnes terrorisées sur le quai alors que le vent violent poussait les flammes vers le quartier européen. Le consul Horton voulut faire évacuer le lycée de filles où 2000 Grecs et Arméniens s’étaient regroupés. On fit monter les ressortissants américains dans un camion tandis qu’une compagnie de marines restait pour escorter les autres réfugiés vers les quais. Les Turcs ouvrirent le feu et ce fut la panique, femmes et enfants hurlaient, tombaient et se piétinaient. Lorsqu’ils arrivèrent au quai, il ne restait plus qu’une quarantaine de fugitifs, le reste s’était perdu en route.

Le consulat étant menacé par l’incendie, les derniers Américains furent conduits jusqu’aux quais où les chaloupes étaient amarrées. Vers 20 heures le destroyer Simpson quittait Smyrne avec le consul Georges Horton et ses ressortissants.

De même, les derniers Britanniques rassemblés par le pasteur Dobson furent évacués. Cinquante soldats portèrent secours à la maternité dont la directrice ne voulait pas abandonner les patientes. Ils formèrent autour du personnel et des malades un rempart avec des rames afin de forcer un passage à travers la foule. Ils purent ainsi regagner leurs chaloupes pour embarquer à bord de l’Iron Duke.

Les îlots de protection français abritent entre 8 et 10000 réfugiés : soit 500 au consulat, 800 à l’École des Frères Lazaristes, 2000 à la cathédrale, 500 au Sacré-Coeur, 2000 à Coula, 2000 à Cordelin. Tous les détachements reçoivent l’ordre de regroupes les réfugiés dans les jardins du consulat et de l’Alliance française. On procède aux vérifications d’identité avant de délivrer un bon d’embarquement.

A 21h30, l’amiral Dumesnil donne l’ordre au commandant Moreau de prendre les mesures d’embarquement pour les Français et les protégés. On refoule la foule de la rue qui longe le consulat. Des postes sont placés à toutes les portes pour procéder au triage des réfugiés car seuls les Français et protégés doivent être embarqués.

A 22h50, le foyer se rapproche pendant l’évacuation des Français et protégés par des canots à vapeur, des chaloupes, qui font la navette entre le quai et les cuirassés Edgar Quinet, Jean Bart, et le paquebot Phrygie. Malgré les hommes de garde, les barrages ont cédé sous la pression de la foule qui ne souhaite que s’embarquer et refuse de se diriger vers le quartier de la Pointe encore épargné par l’incendie. On évacue des paquets d’archives, les documents du chiffre, la caisse de recettes du consulat.

Ordre est donné à la canonnière La Dédaigneuse de venir mouiller à côté du torpilleur Le Tonkinois qui, de ses projecteurs éclaire le quai devant le consulat où une foule immense, terrifiée, se presse sur le quai.

A 23h15, les nationaux munis de passeports, qui se trouvaient bloqués dans le consulat, sont conduits en pelotons de quinze à vingt personnes par des hommes en armes jusqu’au quai d’embarquement. Les autres réfugiés, qui s’étaient infiltrés dans les centres, sont repoussés vers la rue Parallèle en direction du nord.

Deux barrages perpendiculaires au quai sont établis devant le consulat pour en libérer l’accès. De même, il faut dégager la rue Parallèle et celle qui longe le consulat jusqu’aux jardins de l’Alliance française. L’évacuation de la colonie française se fait avec de grandes difficultés par suite de nombreux étrangers qu’il faut refouler au-delà du barrage nord.

Jusqu’à 1h15, l’évacuation est faite sur le cuirassé Jean Bart, devant l’approche de l’incendie on évacue aussi sur le Tonkinois et la Dédaigneuse. Les barrages sont repliés sur le bord du quai pour permettre à la foule venant du sud de gagner le nord préservé de l’incendie. Des flammèches embrasent des ballots abandonnés sur le quai, mais on ne peut les jeter à la mer car ils gêneraient les accostages et se prendraient dans les hélices.

A 2h15, les maisons proches du consulat s’embrasent et vers 2h45 c’est l’évacuation du consul et de son personnel à bord du navire amiral. La panique gagne la foule, des gens se jettent dans les embarcations, d’autres à la mer pour gagner les navires à la nage ; il est urgent d’embarquer la troupe alors que les réfugiés se piétinent et embarquent de force.

A 3h20, l’embarquement de la troupe est terminé, le Tonkin et la Dédaigneuse s’éloignent du quai. Le consulat brûle à 5 heures.

Pendant toute cette période, le torpilleur Hova, mouillé plus loin devant la rue menant à l’Hôpital français, recueille les réfugiés qui s’y étaient regroupés, les Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul et les sœurs Carmélites. Les réfugiés forment un bloc si compact sur le quai qu’il est quasi impossible d’embarquer les enfants, les malades, les vieillards et les bonnes sœurs qui les accompagnent. Des Grecs, des Arméniens affolés s’infiltrent, écrasent les enfants ou prennent la place des malades.

Vingt hommes débarquent d’embarcations venant des grands bâtiments, s’emparent du quai, creusent avec difficultés une poche dans la foule, pour permettre l’embarquement des religieux, de 200 nationaux et du consulat de Belgique. Le tri, dans la foule affolée, est impossible, de nombreux Grecs et Arméniens sont embarqués sur Hova qui, débordé, appareille pour aller accoster l’Edgar Quinet. Des officiers ont vu les soldats turcs, requis pour aider à assurer l’ordre, piller les réfugiés près du consulat. Les pompiers, privés de protection à la suite de l’évacuation des marins anglais, furent empêchés d’éteindre le sinistre par des soldats turcs qui leur tiraient dessus.

La ville est en ruines. L’incendie avait obligé les gens cachés dans les quartiers grecs et arméniens à sortir de leurs caves et à fuir vers les quais. Ils étaient maintenant directement menacés par le foyer qui s’était propagé aux immeubles du front de mer. La chaleur devint suffocante, les flammes s’élevaient en torches, la foule paniquée poussait des hurlements lorsque dans un fracas assourdissant un pan de mur s’écroulait. Les gens se ruaient alors dans un sens, puis dans l’autre en se piétinant, beaucoup se jetaient à l’eau et se noyaient. Ceux qui savaient nager essayaient de s’approcher des navires alliés. Seuls les Italiens descendaient des canots à la mer et repêchaient les malheureux afin de les amener vers leurs navires ancrés au large. Les Italiens embarqueront plus de 10000 personnes à leur bord. En plus de leurs ressortissants, nombreux dans le quartier populaire de la Pointe, ils recueillirent tous ceux qui se présentaient.

« Tous les quartiers sont décorés de drapeaux français et italiens dans l’espoir d’être protégés des attaques… au coucher du soleil l’incendie a gagné le quartier grec d’où des hordes de gens se déversent sur les quais… le craquement des matériaux en flammes et l’éclatement des matières explosives en nuage de feu font une vision d’enfer… tous les bâtiments majestueux du quai, le Sporting-Club, le Théâtre de Smyrne, le Kraemer Palace et d’autres magnifiques édifices sont la proie des flammes. »

A bord des navires britanniques, conscients de vivre la fin d’une époque heureuse, les Levantins, dont les fortunes étaient pour beaucoup dans l’immobilier et dans les banques locales, virent leurs entreprises et leur fortune brûler sous leurs yeux.

Sur l’Iron Duke, selon les ordres de l’amiral, les officiers en veste blanche passèrent à table. Après le dîner, ils observèrent à la jumelle des scènes d’horreur, hommes et femmes tués à coups de sabre et de fusil, jeunes filles violées. L’amiral Brock restait sur sa position de neutralité totale mais, devant la réprobation muette de son équipage, vers minuit il changea brusquement d’avis.

En quelques minutes, les officiers changèrent de tenue, les hommes d’équipage descendirent les chaloupes et les baleinières afin de gagner le quai. Quand les hommes sautèrent à terre, ils furent bousculés par la foule, repoussés dans les embarcations. Il fallait utiliser la force et les coups pour contenir les personnes qui se ruaient, puis on devait s’éloigner du bord avant d’être submergés. En ramant, les marins naviguaient au milieu des cadavres qui flottaient.

Quelques milliers de Grecs et d’Arméniens furent recueillis à bord des navires britanniques, américains, italiens et français, c’était un nombre dérisoire par rapport à la foule abandonnée dans l’enfer des quais. »

D’après l’ouvrage de Louis François Martini « Le Crépuscule des Levantins de Smyrne » Etude historique d’une communauté.

Merci à vous de bien vouloir transmettre notre message à vos proches et réseaux. Vous pouvez également nous transmettre leur adresse mail afin que nos courriels puissent leur arriver directement. Nous sommes preneurs de tout document spécifique que vous pourriez détenir ainsi que toutes références d’articles, de romans… et de vos témoignages.

 

S’il vous manquait un épisode (les mystères de l’informatique !), vous pouvez le demander à l’adresse suivante : catherine.aep@gmail.com