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Le container explose de 3000 à 18 000 $

 Début octobre 2020, un container dry  (Le conteneur standard (dryest mondialement utilisé pour le transport maritime, fluvial, ferroviaire, routier de la plupart des marchandises « sèches », boîtes, cartons, caisses, sacherie, balles, palettes, fûts, etc., d'où l'appellation container “dry”.) en partance de Chine coûtait environ 950 $ pour une contenance de 20 pieds ,et 1 600 $ pour 40 pieds.

"Courant octobre, on s’attendait à une légère baisse, comme d’habitude à cette saison. Mais les prix sont fous, jusqu’à atteindre en janvier 2021, 4 500 $ pour les petits containers et plus de 10 000$ pour les grands ».

Assortie de « surprimes » de 1 000 $ par container, pour garantir l’embarquement des marchandises… mais parfois sans résultat :

« Certaines compagnies maritimes proposent un service préalloué sur leurs tarifs forts avec un acompte de 7 000 $, non remboursable si la marchandise restait finalement à quai.

Mais comment charger quand il n’y a pas de containers disponibles ? 

Cette folle montée des prix des containers s’explique par une pénurie  des équipements.

 « Au début de la crise, les compagnies maritimes ont  supprimé un quart de leurs rotations partant d’Asie et laissant les containers à quai.

Or la demande repart fortement après les confinements en Europe et en Amérique du Nord .

« C’est cette hausse de la demande qui a cassé le cycle d’import-export : alors que la consommation reprenait fortement en Europe et aux États-Unis, celle de la classe moyenne chinoise s’est arrêtée, ne reprenant qu’à partir de septembre dernier. Cet écart entre offre et demande a créé un déséquilibre mondial des flux »,

Certains transporteurs ont pris une décision historique et étonnante sur le plan économique: geler les tarifs pour freiner l'inflation. Le Français CMA CGM, troisième armateur mondial, a fait savoir Le 9 septembre 2021 qu'il allait bloquer les prix de certains contrats. Jusqu'au 1er février 2022, les contrats dits "spots" (négociés 30 jours seulement avant le transport) n'augmenteront pas.

Ces contrats de dernière minute ne représentent qu'un quart environ de l'activité de CMA-CGM, mais ce sont eux qui ont subi la plus importante inflation. Pour les contrats de long terme négocié des années à l'avance la hausse des prix  est MOINDRE.

L 'allemand Hapag-Lloyd a annoncé un gel des tarifs de ses contrats spots sans  en préciser la durée.

les délais de livraison  s'allongent : explosion de la demande de produits manufacturés en Asie (via le e-commerce) et des aléas divers (crise sanitaire toujours présente).

Le blocage du canal de Suez en mars 2021 & la fermeture deux semaines, en mai 2021, du plus important port chinois (celui de Yantian près de Shenzhen) ont fait un goulot d'étranglement.

Des clients qui doivent payer de plus en plus cher pour une qualité de service dégradée. C'est pour répondre à ce mécontentement que certains transporteurs ont préféré stopper l'inflation.

"A travers ces mesures, CMA CGM souhaite accompagner ses clients dans un contexte de fortes tensions sur les chaines logistiques mondiales et privilégie une relation sur le moyen et long terme".

Le transporteur accepte de faire moins de bénéfices aujourd'hui pour avoir davantage d'activité demain.

Aujourd'hui, le secteur du fret est sous tension et atteint des niveaux records d'activité. Seule 1% de la flotte mondiale est actuellement inutilisée contre 4-5% en période normale (et 12% en mai 2020 au plus fort de la crise sanitaire).

Comme de nombreux transporteurs, la compagnie marseillaise a beaucoup investi pour accroître ses capacités de transport.

"Le groupe a augmenté la capacité de la flotte opérée de 11% depuis le 31 décembre 2019, grâce à l’entrée en flotte de navires neufs et l’achat de navires d’occasion. Au cours des 15 derniers mois, CMA CGM a également augmenté sa flotte de conteneurs de 780.000 EVP."

Les EVP (Équivalent Vingt Pieds) désignent l'unité de mesures d'un navire. Un porte-conteneur moyen étant de 2000 EVP, CMA CGM a donc augmenté sa flotte d'environ 400 bateaux.

Une inflation qui profite à tout le secteur. Le secteur devrait réaliser au minimum 80 milliards de dollars de bénéfices d'exploitation en 2021..

"Si les taux de fret dépassent les attentes dans le reste de l’année, nous ne serions pas surpris de voir un bénéfice annuel de l’ordre de 100 milliards de dollars", assure l'analyste dans sa note trimestrielle.

En 2019, les neuf plus gros armateurs du monde avaient réalisé collectivement 5 milliards de dollars de bénéfices. Vingt fois moins que cette année.

sources : Drewry, IFB Group, supply chain de King Jouet, CMA CGM, transporteur Fatton

Que s’est-il passé concrètement ? Les tarifs des containers ont commencé à grimper sur le flux transpacifique dès juin dernier, avec des prix multipliés par deux en trois mois pour atteindre 3 800$ en août. Préparation de Thanksgiving oblige, cette forte demande s’est maintenue et les compagnies maritimes ont priorisé leurs rotations, toujours réduites, vers le marché américain. « Avec seulement quinze jours de mer, le transpacifique est plus rentable que la navigation d’Asie vers l’Europe. Beaucoup de containers ont été envoyés aux États-Unis, congestionnant les ports. Ainsi, le 16 février dernier, 220 000 containers équivalents 20 pieds étaient encore en rade dans le port de Los Angeles, attendant d’être déchargés », explique Irwin Lefebvre, adhérent au Syndicat des transitaires et commissionnaires en douane du Havre et de la région (STH) et head of middle office chez Bolloré Logistics.

À cela s’ajoute un certain effet d’aubaine pour les compagnies maritimes, un secteur qui s’est fortement concentré au cours des dernières ­années et ne compte plus aujourd’hui qu’une demi-douzaine d’acteurs mondiaux. « Il est difficile de savoir si cette pénurie d’équipements a été organisée sciemment ou pas… Mais si les compagnies maritimes ont, au départ, mal anticipé la sortie de crise, elles auraient dû voir, dès avril, que la demande allait être soutenue. À la place, elles ont continué à supprimer des bateaux, aggravant la pénurie », observe Jean-Philippe Gras.

Le bonheur des compagnies maritimes fait le malheur des importateurs européens : selon Euler Hermes, la hausse du coût des transports en provenance de Chine pourrait coûter entre 4,5 et 7 points de marge aux entreprises de la zone euro, soit un impact de 23 milliards d’euros pour les entreprises françaises au cours du premier semestre 2021. « Nous estimons que le rallongement des temps de livraison pourrait coûter 1,2 point de croissance au PIB de la zone euro en 2021 », ajoute Ana Boata, directrice des recherches macroéconomiques d’Euler Hermes dans un communiqué. En effet, malgré les tarifs élevés, « la qualité de service est de l’ordre, au mieux, du médiocre, avec des retards de cinq à huit jours en moyenne », note Irwin Lefebvre.

Report sur les containers réfrigérés

Pour faire face, entreprises et transporteurs ont essayé de trouver des alternatives, comme le rail ou la route. « Mais les containers sont aussi indisponibles pour le rail, qui est lui-même saturé avec une forte inflation des prix. La route est également saturée et les camions souvent bloqués aux différentes frontières car les mesures sanitaires ne permettent pas une circulation fluide », relève Nestor Jardon. D’autres, comme King Jouet, le fabricant de jouets Vulli et le spécialiste de fournitures scolaires Viquel, se sont reportés sur des containers réfrigérés, plus chers que les dry mais encore relativement disponibles. Des reports qui ont, bien évidemment, entraîné une hausse des prix des réfrigérés.

Ces surcoûts risquent de se répercuter sur les prix aux consommateurs, comme dans le bricolage, également soumis à l’inflation des matières premières : « Les hausses des coûts seront sûrement répercutées à partir de début avril et sur le deuxième trimestre », estime Jean-Luc Guéry, président d’Inoha (Union nationale des industriels du bricolage, du jardinage et de l’aménagement du logement). D’autres, comme Maped ou Viquel, ont choisi de prendre ces surcoûts sur leurs marges. « Pour chaque container, il faut calculer la rentabilité : sur des produits de faible valeur comme des trousses, c’est très compliqué. Nous allons travailler à réduire notre dépendance à l’Asie et chercher des fournisseurs plus proches », témoigne ­Vanessa Viquel-Delangre, CEO de Viquel. Idem chez Bureau Vallée : « Le surcoût du transport ajoute 10 € sur une chaise de bureau vendue 100 €, soit un tarif pratiquement équivalent à ceux proposés par des fournisseurs d’Europe de l’Est », calcule Adrien Peyroles, directeur digital et communication de l’enseigne.

Cette inflation des containers pourrait donc être un argument de plus en faveur de la relocalisation. « Mais retransférer les outils industriels, aujourd’hui très mécanisés en Chine, vers l’Europe prendra du temps », avertit Nestor Jardon. Irwin Lefebvre renchérit : « La relocalisation, avec sa dimension environnementale et sociétale, est dans l’air du temps et cette crise est un accélérateur. Mais la Chine bénéficie toujours d’une forte demande, d’autant que les usines des pays occidentaux continuent à tourner au ralenti à cause de la crise sanitaire. »

Reste donc à espérer que les flux et la disponibilité des containers reprennent normalement après la trêve du Nouvel An chinois. « Les compagnies sont en train de remettre leurs services en ordre de marche. Mais le retour à la normale prendra plusieurs mois avant d’arriver à un juste prix pour tout le monde », estime Irwin Lefebvre, qui prévoit cependant que les tarifs ne redescendront pas à leurs niveaux d’avant-Covid. Il faudra donc s’habituer à un transport plus onéreux. 

Véronique Yvernault et Jean-Noël Caussil

Prix net moyen d'un container de 20 pieds sur la voie Maritim