Je reviendrai en Arménie : l’appel de Naïri Sisserian

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"A toi, à vous qui me lisez, on y est.  Me voilà dans l’avion me ramenant à ma diaspora natale.

Ce voyage, initialement prévu pour 4 semaines, aura duré 7 mois.
Là, après cette brève introduction, me voilà bloquée devant cette première page d’écriture,
avec une question : Par où commencer ?

Ne sachant vraiment comment y répondre, je vais tenter la méthode chronologique.
Pendant la guerre de septembre à novembre dernier, j’étais à Paris, à suivre les
informations, à manifester sans relâche, à prendre des nouvelles de mes amis vivant en
Arménie, et à prier pour eux, à prier pour nous.

Nous ? oui nous ! Ayant été élevée dans une famille qui m’a toujours rappelé que même
dispersés, nous, les Arméniens, nous ne formons qu’un !
Durant ces 3 mois de lutte acharnée, mon cœur se fanait jour après jour. Loin de tout ce
qu’il se passait dans mon pays, je ne supportais plus cette distance devenue insoutenable.
J’ai donc pris la décision d’agir, et de venir auprès de ceux dans le besoin.C’était bien plus
qu’un devoir. C’était une envie, un appel, une évidence.

Je suis arrivée à Erevan le 24 novembre. En arrivant, je suis directement allée au cimetière
de Yeraplour (des soldats tombés , ndlr), pour prier nos âmes perdues. L’image de ces mères, allongées sur la tombe de
leur fils et hurlant à l’agonie est une image qui m’a profondément marquée. J’ai
immédiatement senti cette fatalité, si injuste, qui pèse lourdement sur ces tombes…

Durant les 3 premières semaines de mon séjour humanitaire, j’ai assisté plusieurs
associations venant en aide aux réfugiés d’Artsakh. J’ai préparé des cartons de nourriture, de
produits d’hygiène, j’ai trié des vêtements, et autres tâches du genre.

Un jour, des amis venant aussi de diaspora pour une courte durée, et ayant récolté un peu
d’argent, m’ont proposé de les accompagner, afin d’aider directement des familles dans le
besoin, suite aux conséquences de la guerre.
Mes 4 semaines initiales touchaient à leur fin… mais cet appel, cette évidence que j’ai
ressentie avant ma venue ne s’étaient pas estompés. Je me sentais incapable de rentrer. Il
fallait que je continue. Ce n’était que le début, puisque j’ai, par la suite, décalé mon retour
encore 4 fois.
Aujourd’hui, j’ai le cœur brisé de devoir rentrer pour raisons professionnelles.

Mes pensées m’entrainent au début de cette année, alors que je retardais pour la première
fois mon retour.
Peu après, suite à un concours de circonstances, je rencontrais un jeune soldat qui avait
participé à la guerre, remis depuis peu de ses blessures. Il me racontait à quel point il s’est
senti seul, livré à lui-même durant sa convalescence.
Oui, c’est vrai, l’Etat avait pris en charge son hospitalisation. Mais une fois sorti de l’hôpital,
ayant toujours besoin de médicaments et de rééducation, plus rien…

Venant d’un pays tel que la France, où les aides médicosociales sont acquises de longue
date, ces paroles de détresse m’ont bouleversée, indignée.

C’est alors que j’ai réalisé que la plupart des associations se consacraient principalement aux
réfugiés. Mais qui se souciait de ces soldats ? Amputés d’un membre pour certains, amputés
de leur âme pour d’autre
s ; et de ces familles, amputées d’un fils, d’un père, d’un frère…

C’était clair. Je devais agir.
Alors j’ai agis. A ma manière.
J’ai passé des appels, à mon entourage, à l’entourage de mon entourage, j’ai posté sur les
réseaux sociaux, autant que j’ai pu, afin de mobiliser le plus de personnes possible.
Et ça a marché.

Mais je n’étais pas seule. Mes amis locaux m’ont aidée à trouver ces familles et ces soldats.
Dans ce groupe de 5 personnes que nous avons vite formé, chacun avait son rôle. Trois de
mes amis, Arman, Hovo et Mushegh trouvaient les personnes à aider, au 4 coins de
l’Arménie. Martin contactait les familles et soldats, organisait les visites et conduisait le van.
Et moi, je trouvais les fonds et continuais de faire fleurir notre cagnotte, de semaine en
semaine, afin d’aider le plus de gens possible.
En l’espace de 4 mois, grâce à toute cette organisation, nous avons pu rendre visite à plus de
85 familles endeuillées et soldats blessés.
Nos visites n’avaient qu’un but : leur venir en aide. Il ne s’agissait pas seulement de leur
tendre une enveloppe. J’ai aussi consolé, j’ai enlacé, partagé leur peine comme si elle était
mienne.

Ecouter pour certains, converser pour d’autres, ou rester là, simplement, en silence. Bref, il
était question d’être présents, et leur montrer qu’ils ne sont pas seuls. Certaines des visites
ont été doublées, voir triplées ; notamment pour des soldats blessés, dont la convalescence
se voyait longue et nécessitait d’avantage d’aides et d’accompagnements.
Ainsi, de maison en maison, j’entendais souvent les mêmes paroles. Beaucoup de soldats
m’ont expliqué à quel point ils s’étaient sentis délaissés sur le front. Sans instructions, sans
ordres hiérarchiques pour les guider, sans matériel adéquat pour faire face. Beaucoup m’ont
dit, et avec quel désespoir : « Comment l’Homme peut-il avoir une chance de vaincre contre
la technologie comme ennemi ? »,
« Comment une troupe peut-elle avancer sans
dirigeant ? »
J’ai également entendu à plusieurs reprises cette phrase qui m’a déchiré le cœur : « Naïri, en
venant nous voir, en nous soutenant, tu accomplis le travail d’un Gouvernement qui, pour
nous, est inexistant ! »
La réalité est celle-ci : 95% de ceux à qui nous avons rendu visite n’ont reçu aucune aide de
l’Etat. Quand aux 5% restant, l’aide reçue était minime, ridicule.
Inévitablement, je n’ai pu m’empêcher de me demander : Et si je n’étais pas venue ? Et si
nous n’avions pas formé notre petit groupe d’aide (clandestine) ? Qui aurait aidé ces gens ?
Où est ce Gouvernement ?
Je n’ai pas la prétention de dire que tel homme politique est mieux qu’un autre, ici ou
ailleurs. Face à ce désarroi, je ne prie que pour un semblant d’humanité et de compassion.
Mes proches me demandent de leur raconter ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, ce que j’ai
vécu. Vous, qui me lisez, devez sûrement avoir cette même curiosité.
J’ai d’abord évité de tout dire, pour les préserver. Puis, ayant pris un certain recul, j’ai réalisé
que je n’avais pas de mots pour relater les atrocités auxquelles j’ai été confrontée.

J’avais tenté de m’y préparer psychologiquement avant mon arrivée. Mais c’est impossible.
Alors lorsque je parvenais à donner le sourire, si timide soit-il, à quelqu’un qui ne s’en
sentait plus capable, ou lorsque j’enlaçais ces femmes qui n’avaient besoin que d’un peu de
réconfort et de chaleur, alors tout le reste s’effaçait.
J’ai croisé d’autres personnes venues aider au cours de ce séjour, et cela m’a beaucoup
touchée. Mais 

j’ai été désolée de ne pas en rencontrer davantage. La diaspora arménienne
représente pourtant une telle population !

Ce qui m’attriste aussi est de constater que malgré ce que j’ai pu donner de moi-même, j’ai
toujours ce sentiment regrettable que ce n’est jamais assez, que tout cela n’était qu’une
goutte d’eau dans l’océan.
Alors j’ai espoir que toi qui me lis, tu décides enfin de venir auprès des tiens. Ils ont besoin
de ta présence.
J’ai souvent entendu : « Naïri, si chaque arménien de diaspora faisait comme toi, beaucoup
de problèmes ici seraient résolus. »
Merci de m’avoir lue.
J’ai écrit ce témoignage il y a trois mois. En l’espace de deux mois passés à Paris, je
ressentais ce manque inexplicable. Depuis, j’ai décidé de sauter le pas et de revenir
m’installer auprès des nôtres.

Alors, rendez-vous en Arménie …!

Naïri Sisserian       nairisisserian@gmail.com

compte professionnel Instagram : 

@nairi_coachparis 

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